Pour une gestion moderne de la discipline
L’auteur aborde d’une façon innovatrice la gestion des comportements. Rappelant l’impact de comportements non désirés sur la performance de l’entreprise et sur la dynamique au sein du milieu de travail, l’auteur présente les paramètres d’un système intégré de détection des comportements à risque qu’il a développé et qui est composé de la communication d’un énoncé de principes clair en faveur d’une vision différente de gérer les comportements, d’une phase de sensibilisation et de la mise en place d’un système intégré des observations compilées au sujet des employés. L’auteur souligne qu’un tel système peut être implanté en totalité ou en partie selon la taille de l’entreprise, mais que dans tous les cas il est important, afin de créer un sentiment de confiance envers l’organisation, de bien communiquer la vision nouvelle et sensibiliser les employés à cette vision et à l’importance d’être sensible aux gens qui nous entourent.

INTRODUCTION
La performance d’une entreprise, d’un secteur d’activité et même d’une équipe de travail, est fortement influencée par le comportement des personnes qui en font partie. Bien sûr, le comportement peut référer à l’engagement, à l’ouverture d’esprit, à la capacité de faire face au changement. Mais le comportement peut aussi référer à la manière dont on interagit avec une autre personne, à des gestes offensants, à de la négligence volontaire. Le comportement d’une personne peut donc entraîner des conflits, provoquer des pertes pour l’entreprise et altérer son image. On peut donc aisément réaliser à quel point il est important de bien gérer les comportements de ses employés. Il s’agit là d’un élément déterminant de la performance d’une entreprise.
I– QUELQUES RÈGLES À SUIVRE : ÉQUITÉ, PROPORTIONNALITÉ, GRADATION
Lorsqu’un employeur veut intervenir face au comportement d’un employé, il doit suivre certaines règles, lesquelles furent développées en grande partie par nos tribunaux. Ainsi, l’employeur doit respecter les règles d’équité. L’employé doit être informé des attentes à son égard en termes de comportement, au-delà des exigences normales reliées au fait d’être un employé telles la loyauté et l’assiduité par exemple. L’employé doit également être informé de ce qui lui est reproché afin qu’il puisse faire valoir sa position sinon présenter une défense. Tout cela relève de l’équité.
Dans le cas où la faute est démontrée, il doit exister une proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction imposée. Dans l’imposition de ladite sanction, l’employeur doit tenir compte des circonstances et viser à corriger le comportement d’abord et avant tout plutôt que de chercher à faire un exemple pour les autres employés.
L’employeur doit également respecter une gradation eu égard à la sévérité des sanctions imposées. Ce principe est sous-jacent à l’esprit de l’intervention de l’employeur qui, même en matière disciplinaire, doit avoir un caractère plus formateur que répressif. Toutefois dans le cas d’une faute grave qui entraîne une rupture du lien de confiance de l’employeur envers l’employé fautif, il n’y a pas lieu de tenir compte du principe de gradation des sanctions et le congédiement peut être immédiat. Il est important de préciser que les motifs sous-jacents à la rupture du lien de confiance doivent être raisonnables et démontrés, et non seulement invoqués, même avec conviction, pour justifier le congédiement devant un tribunal.
Ces règles furent établies avec le temps par les tribunaux afin d’apporter un certain équilibre entre le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de discipliner et le droit de l’employé à un traitement juste et équitable, même dans le cas où il aurait commis une faute. Mais l’équité peut aussi être perçue en amont de la commission des fautes, et ce, par une gestion préventive des comportements.
II– VOIR L’ÉQUITÉ AUTREMENT : UNE GESTION MODERNE DES COMPORTEMENTS
La gestion des comportements peut donc prendre une autre forme, mieux intégrée à une saine gestion des ressources humaines, une gestion qui tienne compte des réalités qui peuvent influencer le comportement humain et les impacts sur l’entreprise de comportements dérogatoires. Dans les deux cas, la prévention peut ainsi s’avérer très profitable.
Les mécanismes de prévention des comportements furent implantés principalement dans les années 1980 et 90 aux États-Unis dans les services de police et connus sous le vocable de Early Warning Systems 1 . Essentiellement, ces programmes avaient pour objectif de faire diminuer les plaintes de citoyens envers les services de police en modifiant les comportements de policiers identifiés comme étant problématiques. Pour y arriver, ces policiers faisaient l’objet d’une supervision accrue et pouvaient être assujettis à une formation pertinente. Les superviseurs rencontraient régulièrement les policiers identifiés afin de s’enquérir de leur situation, leur rappeler les règles et vérifier les besoins de formation. Ces mesures, ajoutées à la crainte de sanctions élevées, voire de congédiement dans le cas de récidives, ont entraîné une diminution importante des plaintes.
C’est en s’inspirant du concept de prévention des comportements que fut développée une approche systémique de détection des comportements à risque, laquelle était mieux intégrée aux pratiques RH que ne l’étaient les systèmes implantés dans les services de police aux États-Unis. C’est ainsi que la gestion moderne de la discipline est née, une approche axée sur une sensibilisation et une vigilance accrue des gestionnaires et un rôle de coordination et de soutien assumé généralement par les RH. À ce jour, peu d’employeurs ont implanté un tel système dans leurs entreprises, bien que l’esprit de prévention des comportements fasse son chemin dans le monde des ressources humaines.
III– COMPOSANTES D’UNE TELLE APPROCHE : À LA FOIS HUMAINE ET SYSTÉMIQUE
L’approche systémique de gestion des comportements comporte trois composantes majeures : une première qui vise la communication des attentes et des rôles de chacun, une deuxième qui relève de la sensibilisation des intervenants, et une troisième qui comprend l’instauration d’un mécanisme de compilation et de coordination des informations.
Dans un premier temps, une politique et une procédure énonçant les principes et l’esprit d’une gestion moderne de la discipline, les attentes en matière de comportement et une identification des rôles de chacun (employé, gestionnaire, RH) représentent la fondation de cette nouvelle approche. Il est primordial de bien communiquer que l’objectif en est un de soutien aux employés et non un simple mode de détection des comportements. Il s’agit d’une étape déterminante afin de créer un climat de confiance de la part de tous envers l’entreprise, le personnel étant peu habitué à une telle approche.
Dans un deuxième temps, une phase de sensibilisation doit s’amorcer et viser trois axes. Le premier axe est de sensibiliser autant les employés que les gestionnaires sur les éléments qui sont susceptibles d’influencer le comportement d’un employé, que ce soit temporairement ou d’une façon permanente. Citons-en quelques-uns qui émanent autant de la vie professionnelle que personnelle d’un employé :
– Échec à un examen de promotion ; – Démotivation face à son travail ; – Manque d’appui ou de reconnaissance ; – Conflit avec un collègue ; – Problèmes de santé ; – Divorce ; – Problèmes financiers.
Le deuxième axe vise une sensibilisation sur l’importance et la manière d’être vigilant à certains indices, afin de prévenir des comportements qui peuvent être préjudiciables autant à l’entreprise qu’à l’employé concerné. Voici quelques exemples d’indices :
– Baisse générale de rendement ; – Ponctualité et absentéisme inhabituels ; – Sautes d’humeur fréquentes envers des collègues ou même des clients ; – S’isole ; – Commet des erreurs fréquentes ; – Plaintes fréquentes à son endroit.
Le troisième axe de sensibilisation concerne l’importance de rapporter ce qui est observé afin qu’une intervention soit effectuée dans un esprit de prévention de comportements encore plus graves. Les collègues, mais surtout les gestionnaires, doivent être très vigilants afin de détecter les situations potentiellement à risque et provoquer un entretien avec l’employé dans un contexte de relation d’aide et non à caractère disciplinaire. Dans ce contexte, une formation portant sur l’écoute active peut représenter un investissement fort utile.
Dans un troisième temps, afin de bien coordonner les efforts et la gestion de l’information, un mécanisme de suivi des différentes informations observées et rapportées doit être mis sur pied et coordonné préférablement par le représentant RH. C’est à cet endroit que seront compilés les différents indices retenus par l’entreprise et observés chez l’employé, lesquels serviront à signaler un cas plus à risque de comportements déviants et ainsi susciter une rencontre de gestion à connotation préventive. Seront déterminés à l’avance par l’entreprise les paramètres de signalement automatique par le système mis en place, à partir du nombre d’indices observés à l’intérieur d’une période de temps donnée (ou un seul d’une ampleur majeure), ce qui permet la détection en vue d’une intervention par le représentant RH et le gestionnaire.
Prenons par exemple le cas d’un employé qui, à l’intérieur de la période prédéterminée (par exemple dans les trois derniers mois), a fait l’objet d’une plainte d’un client, qu’il fut rapporté un échec à un examen de promotion et de fréquentes absences de courtes durées. S’il s’agit d’un employé qui compte peu d’ancienneté au sein de l’entreprise, il est important qu’il soit rencontré afin de s’enquérir des motifs au soutien de ce comportement et pour l’informer de l’importance que le pattern change rapidement. S’il s’agit d’un employé qui évolue dans l’entreprise depuis plusieurs années et dont le profil ne correspond pas à ce qui est observé dans les trois derniers mois, il est encore plus important d’intervenir, car cela peut cacher une situation encore plus grave comportant des risques de fautes encore plus importantes de la part de l’employé.
L’objectif de la rencontre est alors de permettre, dans les deux cas, à l’employé de prendre du recul et à l’entreprise, le cas échéant, de prendre une mesure administrative temporaire de soutien à cet employé si la situation le justifie et s’il est en mesure de s’y conformer. Mais au moins, il y aura eu intervention, une intervention menée dans un contexte positif ne visant qu’à régulariser la situation pour le bien de l’employé et celui de l’entreprise.
Il est important de souligner qu’une telle approche n’exclut pas de sanctionner au passage un manquement. L’objectif premier d’une gestion moderne de la discipline n’est pas de soustraire les employés aux conséquences de leurs actes, mais plutôt d’éviter que des fautes graves soient commises chez un employé qui traverse une période difficile ou qui requiert un encadrement particulier.
Bien sûr, la taille de l’entreprise détermine le besoin d’un système plus ou moins sophistiqué de suivi des observations. Par exemple dans le cas d’une organisation d’une dizaine d’employés, regroupés dans le même bâtiment et travaillant dans un espace restreint, la sensibilisation du ou des gestionnaires devrait suffire à être vigilant et demeurer à l’écoute de leurs employés. Ce que vit chacun des employés devrait être connu et rapidement constaté, ce qui permet une détection et une intervention appropriée des comportements à risque.
Par contre dans une entreprise de taille moyenne ou de grande taille, où une grande mobilité des employés est possible dans divers lieux de travail ou sur différents étages, il devient important de structurer la coordination de l’information avec les représentants RH afin de faciliter la détection et l’intervention en temps opportun. Il doit être précisé que pour atteindre les objectifs poursuivis, les phases de communication des attentes et des rôles, tout comme celles de sensibilisation sont essentielles à défaut de quoi il pourrait s’avérer stérile d’implanter un système intégré de suivi des informations, puisqu’il est important qu’un climat de confiance s’installe. À défaut de procéder à la communication de la vision d’une façon convaincante, le tout serait vu fort négativement comme étant simplement un moyen de détection des employés dans un seul but de répression et non de prévention.
CONCLUSION
Les coûts d’une embauche, le temps investi à intégrer l’employé et à lui fournir parfois une formation particulière à l’entreprise, la rareté de la main- d’oeuvre, la fragilité grandissante des individus ne sont là que quelques motifs qui font en sorte que les gestes posés pour aider un employé à surmonter une période difficile et ultimement conserver une ressource ne sont pas superflus. Et si jamais ces efforts ne portent pas leurs fruits, l’employeur pourra compter sur un dossier étoffé dans le cas d’une contestation de la mesure.
L’approche est innovatrice et le fait qu’un tel système soit implanté en tout ou en partie en fonction de la réalité de chaque entreprise, ne peut qu’être positif pour tous. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que la majorité des employés qui commettent des fautes disciplinaires graves susceptibles de nuire à l’image ou l’efficacité de leur entreprise ne sont pas des personnes déviantes, mais souvent des personnes qui vivent des situations difficiles et qui s’enlisent dans leurs problèmes. Alors que les employés déviants se doivent d’être rapidement détectés et même congédiés, il peut être profitable pour l’entreprise d’apporter un soutien à ceux qui temporairement traversent une période difficile. C’est ce que vise l’implantation d’une gestion moderne de la discipline.
* François Landry, M.O.M., CRIA, a travaillé pendant 36 ans à la direction des ressources humaines et des relations de travail pour une grande entreprise du secteur public. Depuis la fin de 2016, il dirige la firme de consultants François Landry Solutions RH.
1. Samuel WALKER, Geoffrey P. ALPERT, et Dennis J. KENNEY, « Early Warning System: Responding to the Problem Police Officer », National Institute of Justice, July 2001.