Gestion de la diversité et accommodement raisonnable : une gestion intégrée (partie 2)
Résumé
Dans la deuxième partie de cet article, l’auteur aborde la question des accommodements raisonnables. Il rappelle l’objectif poursuivi par l’application de mesures, les circonstances où de telles mesures sont justifiées et l’encadrement légal permettant de guider les décideurs devant gérer une demande d’accommodement. Plus particulièrement, il traite de la notion de contrainte excessive qui est une exception développée par les tribunaux à l’application de mesures d’accommodement dans la mesure bien sûr où il y a présence d’éléments permettant de conclure à une contrainte excessive. Finalement, l’auteur plaide en faveur d’une gestion raisonnée des demandes d’accommodements et d’une plus grande communication au sein des entreprises à ce sujet.

INTRODUCTION
Dans la première partie de cet article, nous avons vu l’importance de bien gérer les différences au sein de chaque milieu de travail et les composantes d’une approche intégrée en matière de gestion de la diversité. Entre autres composantes, nous avons souligné qu’il était essentiel de prévoir toute demande d’accommodement ou d’adaptation selon le terme de plus en plus utilisé à cet égard.
Le fait de prévoir dans une politique comment sera traitée toute demande d’accommodement et d’énoncer les principes sous-jacents à l’évaluation qui sera effectuée fait en sorte que l’entreprise élimine toute forme d’arbitraire et d’improvisation et surtout suscite l’échange au sein de son personnel sur cette question, ce qui ne peut que favoriser une meilleure compréhension des réalités de chacun.
I– L’OBJECTIF DES MESURES D’ADAPTATION OU D’ACCOMMODEMENT
L’objectif d’une mesure d’accommodement est de ne pas créer ou faire cesser une situation de discrimination fondée sur l’un ou l’autre des motifs interdits par la Charte des droits et libertés de la personne. Ladite mesure n’a donc rien à voir avec un traitement de faveur, un avantage que l’on accorde à une personne, une mesure favorisant une telle personne au détriment d’une autre. La mesure d’accommodement vise à s’assurer que tous, sans distinction, peuvent accéder et maintenir leur emploi, sous réserve, bien sûr, de répondre aux exigences normales de l’emploi et de démontrer les compétences pour l’occuper.
Cette notion est aisément comprise en matière de handicap physique. Dans ces cas, nous avons déjà observé bon nombre de mesures d’accommodement, que ce soit les rampes d’accès à l’entreprise ou l’adaptation d’un espace de travail, en passant par une modification du mode d’évaluation des compétences lors d’un processus de sélection permettant par exemple à la personne de répondre verbalement plutôt que par écrit.
Lorsque par ailleurs la demande d’accommodement vise les croyances religieuses, la situation devient alors plus complexe pour plusieurs. L’objectif est toutefois le même. Autoriser une journée de congé à un employé pour lui permettre de participer à une fête religieuse relève toutefois du même objectif, à savoir tenir compte d’une caractéristique personnelle de l’employé dans la détermination de l’accommodement. Heureusement, avec le temps, la loi et les tribunaux sont venus fournir quelques critères permettant d’apprécier.
II– L’ENCADREMENT LÉGAL DE L’ACCOMMODEMENT RAISONNABLE EN MILIEU DE TRAVAIL
Les employeurs sont tenus de rechercher une solution permettant à l’employé ou au candidat d’exercer pleinement ses droits. À cet égard, un arrêt phare en matière d’obligation d’accommodement en milieu de travail fut rendu en 1985 par la Cour suprême, à savoir Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malleyc. Simpsons-Sears, jugement rendu par l’honorable juge William McIntyre.
Dans cet arrêt, l’employée, soit madame Theresa O’Malley, alléguait être victime de discrimination considérant qu’on l’obligeait périodiquement à travailler le vendredi soir et le samedi contrairement aux prescriptions de sa religion qui l’obligeait à respecter le sabbat qui s’étend du coucher du soleil le vendredi au coucher du soleil le samedi. Nous sommes donc face à un cas où la norme de l’employeur, travailler le samedi, n’est pas en soi discriminatoire. Il ne s’agit donc pas d’une situation de discrimination directe comme une norme d’un employeur qui proscrirait l’embauche de femmes ou de membres d’une communauté précise. Nous sommes plutôt en face d’une norme qui crée une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondé sur la croyance de madame O’Malley. Dans ce cas, la norme n’a pas à être annulée comme le serait celle qui constitue de la discrimination directe.
Le juge McIntyre s’exprime ainsi :
Lorsqu’on démontre l’existence de discrimination directe, l’employeur doit justifier la règle, si cela est possible en vertu de la loi en cause, sinon elle est annulée. Lorsqu’il y a discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessairement annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c’est son effet sur eux plutôt que sur l’ensemble des employés qui doit être examiné.
Le juge poursuit en ajoutant ce qui suit :
Dans un tel cas, le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l’emploi n’a besoin d’aucune justification ; ce qui est requis est une certaine mesure d’accommodement. L’employeur doit, à cette fin, prendre des mesures raisonnables qui seront susceptibles ou non de réaliser le plein accommodement.
Pour relier ce principe de l’accommodement aux faits de l’espèce, nous devons commencer par le principe selon lequel l’employeur est légalement autorisé à exploiter une entreprise et à l’ouvrir le samedi. Il est en conséquence autorisé à engager des employés à la condition qu’ils travaillent le samedi. Cependant, la plaignante est légalement autorisée à pratiquer sa religion et à ne pas être forcée à travailler le samedi contrairement à ses croyances religieuses.
Toutefois, l’employeur doit se demander dans un premier temps si la situation invoquée par l’employé est réellement susceptible de l’empêcher d’exercer ses droits, de la manière généralement prescrite à défaut de lui accorder l’accommodement requis. Dans les exemples ci-haut, est-ce que le handicap de la personne l’empêche réellement de procéder par écrit comme prescrit ? Dans le cas de la demande de congé afin de participer à une fête religieuse, est-ce une fête officiellement reconnue dans la confession du demandeur, est-ce qu’au moment où cette fête se déroule, le demandeur est au travail ou plutôt que l’événement se déroule en dehors des heures régulières de l’employé ? Lorsque dans ces cas la réponse est affirmative, l’employeur se doit de trouver une solution, à défaut de quoi il contribue à créer une situation de discrimination.
Quelle est la limite à l’obligation d’accommodement de l’employeur ? Le principe est que l’employeur doit accommoder l’employé à moins que l’employeur démontre qu’il subirait une contrainte excessive en l’accommodant. C’est donc après avoir vérifié que l’employé vit réellement une situation qui l’empêche d’exercer son travail et qu’un accommodement serait nécessaire pour pallier cette situation qu’entre en jeu la notion de contrainte excessive. C’est d’ailleurs dans ce cas et seulement dans ce cas que l’employeur peut en tout ou en partie ne pas accommoder l’employé.
Lorsqu’on parle de « contrainte excessive », il importe de se rappeler les propos du juge Sopinka, qui a souligné dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c.Renaud[1], que « l’utilisation de l’adjectif “excessive” suppose qu’une certaine contrainte est acceptable ; seule la contrainte “excessive” répond à ce critère ».Or, la jurisprudence est également venue établir ce qui est considéré comme excessif, à savoir :
Une dépense difficile à absorber pour une entreprise et d’une ampleur telle qu’elle pourrait altérer la nature même de l’entreprise ou compromettre sa viabilité ;
Une entrave indue au bon fonctionnement d’une organisation, par exemple la fermeture temporaire de l’entreprise ou un arrêt de la production ;
Une atteinte importante à la sécurité ou aux droits d’autrui.Lorsque des exigences en matière de santé ou de sécurité ne peuvent être satisfaites, en particulier si le niveau de risque, même avec l’adaptation, reste à ce point élevé qu’il l’emporte sur les avantages.
Ainsi, si un employeur ou un fournisseur de services peut objectivement démontrer que le seul accommodement à sa portée entraînerait l’une de ces conséquences, il peut refuser cette demande.
III– LA POLITIQUE D’ENTREPRISE
Comme nous l’avons souligné en introduction, il peut s’avérer fort utile d’adopter une politique visant la question des accommodements ou d’inclure à cet effet une section dans sa politique portant sur la gestion de la diversité.
Généralement, une telle politique prévoit minimalement les sections suivantes :
Déclaration concernant l’engagement de l’entreprise en matière d’accommodation
Cet énoncé de principe n’est pas qu’une formule introductive. Elle vient exprimer la vision de l’entreprise en matière d’accommodement. Tous les gestes et les décisions qui vont suivre se doivent d’être cohérents avec cette déclaration. Il en va de la crédibilité de l’entreprise.
– Cadre juridique
Il peut être utile de définir ce que l’on entend par accommodement, les exceptions prévues par la Charte, les situations où cela peut s’appliquer, les critères décisionnels, les limites et la notion de contrainte excessive.
– Application
Les personnes à qui la politique s’applique.
– Procédure
Indique à chacun la marche à suivre afin de soumettre une demande d’accommodement, les informations requises, à qui cela doit être soumis, les délais de réponse, etc.
– Engagement de confidentialité en regard des éléments personnels à l’employé
Il est toujours préférable que l’ensemble du processus demeure confidentiel entre le demandeur et le représentant de la direction chargé de disposer de la demande, sous réserve qu’il soit nécessaire d’en divulguer le contenu afin de trouver une solution. Il ne faut pas oublier que de telles demandes impliquent souvent des informations personnelles du demandeur.
D’autres sections peuvent s’ajouter selon l’entreprise à savoir, un mécanisme d’appel et de recours en cas de refus, un mode de suivi et de communication des cas d’accommodement, le moment où la procédure sera revue, etc.
CONCLUSION
Les demandes d’accommodement n’ont jamais trop fait de vagues lorsqu’il était question par exemple d’adapter un environnement de travail à un membre du personnel souffrant d’un handicap quelconque. Il en fut autrement lorsque les demandes d’accommodement visaient des questions d’ordre culturel ou religieux. Mais est-ce différent ? Les deux répondent à des considérations incontournables pour l’individu qui requiert la mesure d’adaptation à sa réalité. La personne handicapée doit vivre avec son handicap et, à défaut que l’on procède à une certaine adaptation de son environnement de travail, pourrait se voir contraint de quitter l’emploi. Il peut en être de même pour certaines demandes d’adaptation en raison de pratiques religieuses pour qui le défaut de suivre telle ou telle prescription est impossible à envisager et qui impliquerait de quitter son emploi.
Tout est dans le caractère raisonnable de la demande et du mécanisme d’adaptation comme nous l’avons vu. Mais il importe également de souligner que les demandes ainsi formulées ne doivent en aucun temps être analysées en fonction de sa vision personnelle, ses opinions, ses propres croyances, mais plutôt en fonction des règles et de la jurisprudence en la matière et du bon vieux principe de la balance des inconvénients, d’où provient le caractère raisonnable de la chose et un autre principe selon lequel l’accommodement demandé ne doit pas engendrer de contraintes excessives à celui qui l’accorde. En fait, tout est question de raison, et beaucoup de communication. Encore une fois, la qualité de la communication entre tous les intervenants viendra influencer la façon dont le tout est vécu dans les différentes entreprises.
Ainsi, la demande doit être raisonnable et celui qui la reçoit doit aussi faire des efforts raisonnables pour l’accorder. Il s’agit vraiment ici d’une gestion raisonnée, une gestion qui favorise l’harmonie et le respect de chacun et par conséquent la performance de l’entreprise. Dans un contexte où régulièrement des droits se confrontent, c’est la façon la plus sage d’agir. Dans une conjoncture où la diversité sera de plus en plus présente, il est essentiel d’approcher cette question avec le plus d’ouverture possible.
* François Landry, M.O.M., CRIA, a travaillé pendant plus de 30 ans à la direction des ressources humaines et des relations de travail pour une grande entreprise du secteur public. Depuis la fin de 2016, il dirige la firme de consultants François Landry Solutions RH.
[1][1992] 2 R.C.S. 970, p. 984.